Recto avait fermé les yeux. Une goutte de sueur tomba de son front dégarni et s’écrasa sur les tomettes qui divisaient le sol en losanges rouges. Elle s’évapora aussitôt.
Il faisait chaud. Les yeux plissés par la canicule, abattu, écrasé dans son fauteuil aux ressorts tordus, un journaliste, venu assister à la conférence de presse de présentation de l'équipe de france de basketball, s’intéressa à la prochaine goutte, en formation sur le haut du crâne de Recto. Elle était encore minuscule, un confetti, une île perdue dans un océan de chair.
Mais si on la fixait avec attention, on s’apercevait qu’elle grossissait peu à peu, enrichie par de microscopiques affluents. En quelques minutes, la gouttelette devint perle, puis loupe, ronde, gironde, éclairée par les rayons du soleil, pleine de transparences déformantes.
A travers l’oeil liquide, on distinguait quelques pores sur la cuticule épaisse de Recto, des milliers de poumons humides, avides, noyés dans la sueur. Bientôt, le poids en eau fut critique. La pesanteur écrasa la sphère, l’allongea, l’étira et elle commença à glisser comme une limace translucide sur le front du sélectionneur. L’angle de chute était vertigineux. La goutte dévala sur quelques centimètres, mais une ride fit office de barrage. Le liquide salé se déversa tout entier dans la faille, formant un lac éphémère et vertical.
Des secondes passèrent, en essaim compact. Le journaliste ne cillait plus, la salle s'était remplie. Tous étaient immobile et silencieux. Soudain, une autre gouttelette, plus minuscule encore, vint s’agglomérer sur le front de Recto, glissa sur le même chemin, dévala la pente et s’écrasa dans le même lac. A l’échelle d’une larme, ce fut un séisme, une catastrophe, un tsunami lilliputien dont les historiens quantiques parleront encore longtemps. Le lac déborda dans un bruit d’allumette. Submergée, la ride libéra une vague minuscule, laquelle sauta au-dessus de trois autres plis, inonda deux cicatrices héritées d’une vieille varicelle, avant de s’enfoncer dans le buisson noir d’un sourcil. Le journaliste du premier rang perdait la trace de sa bille d’eau...
Ils attendirent cinq interminables minutes avant qu’elle ne traverse le labyrinthe des poils et ne réapparaisse en filant sur les paupières éteintes du sélectionneur. La goutte glissa sur ses cils, dessina un triste rêve sur ses yeux clos, mouilla ses pommettes saillantes, puis fonça jusqu’au bout du menton. L'auditoire fixait la larme qui s’apprêtait à tomber. La stalactite tremblante hésitait. Elle n’osait pas sauter. A cet instant, Tuck l'adjoint rentra dans la salle de conférence à son tour, intrigué par le vacarme de petits ricanements, qui rententissait de la salle de conférence!
Recto entendit le sifflement et sortit de ses songes. Il ouvrit les yeux et le mouvement imperceptible de ses paupières détacha la gouttelette du menton. L'assemblée la vit chuter au ralenti. Elle se déforma comme une bouche qui pousse un cri puis s’écrasa sur les tommettes et se vaporisa instantanément. Il faisait très chaud. RecTo sortit de ta torpeur, essuya le filet de bave de son menton, sortir son bloc, se racla le fond de la gorge pour éviter un trémolo embarassant et commença sa conférence comme si de rien n'était!